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Les pratiques alimentaires des immigrés mexicains en France : entre adaptation et préservation de leurs origines ?

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Les pratiques alimentaires des immigrés mexicains en France : entre adaptation et préservation de leurs origines ?

Les pratiques alimentaires des immigrés mexicains en France : entre adaptation et préservation de leurs origines ?[CG1] 

La nourriture est un élément qui voyage de manière symbolique avec chaque individu lorsqu’il quitte son lieu d’origine, que ce soit pour une courte durée, par exemple lors de voyages touristiques, ou en migrant vers d’autres pays pour le travail ou les études. Pour mon mémoire de M1 en sciences sociales appliquées à l’alimentation, je me suis intéressée à l’étude des pratiques alimentaires des Mexicains vivant en France, plus précisément à Toulouse. Dans cet article, je souhaite partager quelques points importants concernant l’étude de la migration et de l’alimentation, ainsi que les résultats préliminaires de ce travail. 

La migration, un mouvement identitaire

La migration est le déplacement d’un individu ou d’un collectif hors de sa résidence habituelle. Elle peut se produire pour des raisons économiques, politiques, environnementales, sociales ou personnelles, et peut être volontaire ou forcée. Elle est généralement étudiée comme un cycle et pas seulement de manière linéaire, depuis le départ de la personne du pays, jusqu’au moment où elle vit dans l’autre ville et le retour éventuel. Dans ce cycle, la personne se trouve dans un mouvement identitaire, tant individuel que collectif, car elle conserve les normes et les valeurs du pays d’origine et doit apprendre celles que le pays d’arrivée peut offrir.

Il existe différentes approches qui cherchent à décrire et à comprendre ce processus d’acculturation. D’un point de vue psychologique, Mounira Abdessadek (2012) propose le modèle des orientations avec 4 orientations différentes, basées sur l’individu et la société d’arrivée :

  • Installation : la société reconnaît le migrant comme un de ses membres et l’individu est ouvert à l’intégration.
  • Inertie : la société le reconnaît en tant que membre, mais en tant qu’individu il a des problèmes pour s’approprier les choses.
  • Retour : ni l’individu ni la société ne le reconnaissent comme membre, l’intégration est donc difficile et s’il en a la possibilité, il finira par retourner dans son pays d’origine.
  • Transit : quand la société ne le reconnaît pas, mais qu’il cherche à y appartenir.

Le rôle de l’alimentation dans le processus d’acculturation

L’alimentation joue un rôle important dans ce jeu identitaire, car elle peut être un facteur d’intégration ou d’exclusion, comme le dit Claude Fischler : « Ce n’est pas seulement que le mangeur incorpore les propriétés de la nourriture : symétriquement, on peut dire que l’absorption d’une nourriture incorpore le mangeur dans un système culinaire et donc dans le groupe qui le pratique, à moins qu’il ne l’en exclue irrémédiablement » (Fischler, 2001, p. 69). D’une part, l’alimentation devient une ressource importante pour conserver les vieilles habitudes, et d’autre part elle permet de connaître une nouvelle culture.

En même temps, il est important de souligner que les régimes alimentaires des migrants ne subissent pas un changement linéaire de ce qui était consommé auparavant à ce qui est consommé dans la nouvelle région, mais qu’ils sont en mouvement constant, substituant, adaptant et adoptant. Chantal Crenn, qui a étudié la migration et l’alimentation dans différents groupes de migrants, pose ce problème comme un processus de continuité et de discontinuité, c’est-à-dire que les gens ne changent pas complètement leurs pratiques alimentaires, mais se trouvent dans une oscillation entre leurs normes et valeurs et celles qu’ils découvrent. Les migrants ne quittent pas ce qu’ils connaissent de leur pays d’origine et n’adoptent pas non plus à 100% ce qu’ils apprennent dans leur nouveau lieu de résidence.

Le Mexique et la France, deux modèles alimentaires différents

Pour étudier la migration mexicaine en France, il est nécessaire de prendre en compte le profil des migrants, car contrairement à ceux qui partent aux États-Unis, la plupart de ceux qui arrivent en Europe le font pour des raisons éducatives ou familiales. En même temps, ils sont confrontés à deux modèles alimentaires (Poulain, 2002) complètement différents même si la cuisine mexicaine a une certaine influence française.

D’une part, au Mexique, la base de l’alimentation est le maïs, qui est présent dans la plupart des plats. Le moment le plus important est le petit-déjeuner, car il permet d’endurer la journée de travail, à la campagne comme à la ville. Un autre changement est l’horaire du déjeuner, car ils mangent généralement entre 13h et 14h, un seul plat avec plusieurs éléments (viande, légumes, légumineuses …) et rarement un menu composé avec entrée, plat, dessert. Quant au dîner, il est généralement plus léger que les deux autres repas. D’autre part, dans les zones urbanisées du Mexique, les gens passent généralement beaucoup de temps dans les transports publics, de sorte que la consommation d’aliments, principalement le petit-déjeuner et le dîner, se fait généralement en chemin, soit dans les street food, soit dans la voiture. Dans ce sens, il n’y a pas de moment spécifique pour la consommation, mais elle se fait généralement en compagnie, en famille ou avec des amis du travail.

En France, par contre, les repas sont plus structurés. Le repas français, considéré comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, en est la preuve, avec des horaires si spécifiques que la plupart des activités tournent autour de lui. Dans ce modèle alimentaire, la priorité est donnée à la convivialité, c’est-à-dire au fait de partager la nourriture de manière positive et de prendre le temps de le faire « La particularité de l’alimentation des Français tient surtout à la forte ritualisation des repas. L’usage en France interdit, par exemple, de réaliser en même temps une autre activité qui ferait passer l’alimentation au second plan » (Saint Pol, 2016, p.112). Le petit-déjeuner est généralement plus léger, le déjeuner continue d’avoir une structure entrée, plat, dessert (bien que certains auteurs mentionnent que cela évolue) et le dîner est adapté à chaque famille, certains suivant la même structure que le déjeuner et d’autres rendant ce repas plus léger.

Les pratiques alimentaires des Mexicains à Toulouse

Compte tenu de ces deux modes d’alimentation très différents et du fait que l’on ne trouve pas les mêmes ingrédients de base sur les deux territoires, il est clair que les migrants mexicains changent leurs habitudes alimentaires. Par conséquent, ma question de recherche visait à découvrir quels étaient ces changements et quelles étaient les raisons qui les avaient poussés à les effectuer. Mes recherches se sont principalement basées sur l’espace du mangeable (ce qui est considéré comme comestible au sein d’une société) et les modes de consommation (horaires, quantités, structure du repas, avec qui…). Pour ce faire, j’ai réalisé plusieurs entretiens semi-directifs avec différent.e.s Mexicain.e.s, d’âges, de professions et de durées de séjour différents à Toulouse, ces entretiens avaient pour but de connaître les habitudes alimentaires qu’ils avaient au Mexique et celles qu’ils avaient après quelques mois d’arrivée en France. Comment s’adaptent-ils à une culture complètement différente ?

Parmi les principales observations qui ressortent de ces entretiens, j’ai pu constater que les Mexicains adaptent leurs habitudes alimentaires en fonction de leurs activités sociales. Par exemple, dans le cas des horaires, la plupart d’entre eux se sont adaptés au contexte français, car tout est régi autour du déjeuner. Pour les étudiants et les travailleurs, les heures de repas se situent entre 12 et 13 heures, ce qui rend difficile le maintien des horaires auxquels ils étaient habitués au Mexique. Les personnes qui n’avaient pas d’emploi ou qui ne faisaient pas partie d’une organisation formelle (indépendants) étaient moins exposées au changement, car les horaires étaient choisis par elles-mêmes.

« Le petit-déjeuner, on fait le petit-déjeuner à 7h30, le repas dépend de mes cours, comme on peut manger entre 11h30 et 12h, comme on peut manger entre 13h30 et 14h. Ensuite, en général, déjà après avoir mangé, j’apportais du raisin pendant la journée et c’est plus pour rester éveillée que pour avoir faim et ensuite le dîner c’est comme 18h30 ou 19h » (Entretien 5, 2020).

Par exemple, les Mexicains mariés à un Français ou vivant chez une famille française ont tendance à adopter et à adapter plus rapidement les ingrédients du pays d’arrivée. Malgré cela, beaucoup ont conservé les étiquettes de ce qui était comestible, faisant la différence entre « bon » et « mauvais », « gras » ou « sucré », selon les normes du pays d’origine, par exemple :

« Et ici [à Toulouse] non, ici ce matin, par exemple, maintenant que je suis avec mon mari, les premiers mois et vivant seule encore, mes premiers mois ont été très difficiles, parce que par exemple, je mangeais mes blancs d’oeufs, mais je n’avais pas les mêmes conditions de légumes, je n’avais pas de « nopales », il n’y a pas de « tortilla ». Donc juste le blanc d’oeuf était assez difficile et il est arrivé un moment où j’en ai eu marre des brocolis, parce que c’était le seul légume que j’aimais le plus. C’était assez difficile et quand j’ai commencé à vivre avec mon mari, le petit-déjeuner français est sucré et ce n’est pas quelque chose que je ressens nutritionnellement bien parce que c’est du pain, du café et c’est tout. Et sinon c’est ton pain grillé au beurre. Donc maintenant c’était comme un mélange entre ce que je pouvais manger avant et maintenant j’essaie de l’adapter autant que je peux, mais le temps est plus court, le rythme de vie est plus rapide, donc j’essaie toujours de prendre le petit-déjeuner et de faire une collation». (Entretien 1, 2020)

De même, les plats mexicains finissent par devenir des plats spéciaux parce qu’ils ne peuvent pas être reproduits au quotidien, car les ingrédients ne sont pas faciles à trouver ou ne sont pas économiques, et ils sont donc réservés aux occasions spéciales. Le changement des habitudes alimentaires se fait sur le budget dont ils disposent. Au Mexique, il n’est pas cher de manger hors domicile par rapport à la France.

« [À Mexico] On commandait ou on sortait trois, quatre ou cinq fois par semaine. Heureusement, nous sommes arrivés ici, et très rapidement, nous avons réalisé que nous ne pouvions pas le faire, parce que le salaire ne nous permettrait même pas de tenir la moitié du mois. Et comme je suis celle qui reste à la maison, j’ai commencé à faire mes expériences à la maison et j’ai découvert que j’aime cuisiner. » (Entretien 7, 2020).

Ces résultats montrent ce que Chantal Crenn avait déjà affirmé, à savoir que les migrants sont dans une oscillation entre ce qu’ils savent et ce qu’ils connaissent. En fonction de la situation professionnelle dans laquelle ils se trouvent et des personnes avec lesquelles ils vivent, ils adopteront plus ou moins les pratiques alimentaires françaises.

To be continued…

Les entretiens exploratoires m’ont permis de visualiser un peu plus le panorama des habitudes alimentaires des migrants mexicains en France, en observant qu’ils ont des valeurs très ancrées, comme la catégorisation des aliments, mais en même temps ils sont ouverts pour adapter ce qu’ils savent. Actuellement, dans le cadre de Tout le Monde à Table !, un mouvement solidaire et culinaire qui rapproche des chefs professionnels et des passionnés de cuisine, pour réaliser ensemble une création culinaire afin de créer du lien social et de la partager autour de la table, plusieurs binômes entre personnes des différentes nationalités se construisent, dont le Mexique. Ce projet me permettra de poursuivre ma recherche de M2, en m’intéressant à la manière dont les migrants mexicains reproduisent ou adaptent les plats de leur pays d’origine dans le pays d’arrivée.

Références :

Abdessadek, Mounira, Identité et migration : le modèle des orientations identitaires, L’Autre, 2012/3, n° 13, p. 307-317, [en ligne]. Disponible sur https://www-cairn-info.gorgone.univ-toulouse.fr/revue-l-autre-2012-3-page-306.htm. (Consulté le 21-01-2020).

Fischler, Claude, L’homnivore: le goût, la cuisine, le corps. Paris : O. Jacob, 2001, p. 448.

Hassoun, Jean-Pierre et Crenn Chantal, Migration et nourritures. Un continuum, In : Cardon Philippe (dir.), Quand manger fait société. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2017, 136 p.

Poulain, Jean-Pierre, Sociologies de l’alimentation: les mangeurs et l’espace social alimentaire. Paris : Presses universitaires de France, 2002, 288 p.

Saint Pol, Thibaut de, Les habitudes alimentaires des Français, Esprit, 2016/6, p. 111-120, [en ligne]. Disponible sur https://www-cairn-info.gorgone.univ-toulouse.fr/revue-esprit-2016-6-page-111.htm. (Consulté le 28-01-2020).

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