Innovation : tout ce qu’on peut faire avec une contrainte !

Combien de fois avons-nous entendu, écouté voire conseillé ces deux personnages ?

Le chef de produit : « Ce DG croit encore au Père-Noël : il espère sortir ce nouveau produit en 4 mois, et sans budget additionnel… Je ne vais plus avoir une soirée à moi, et probablement rater quelques cours de zumba… »

Le DG : « Quelle vie de fou, tous ces déplacements et toutes ces obligations… J’aimerais une vie plus libre, plus simple, prendre le temps… »

Que peut-on faire avec des contraintes (obligations, limites…) ? Comment peut-on dégager des opportunités d’innovation à partir des contraintes ?

ETAPE 1 : CERNER LES (VRAIS) CONTOURS DE LA CONTRAINTE

1 – D’abord, questionnez la personne qui pose la contrainte. Pourquoi cette contrainte existe-t-elle ? Quel est le contexte ? Comment pourrait-on reformuler ?

2 – Exprimez ensuite la contrainte par écrit. Petite astuce : une contrainte s’exprime sur un mode binaire, ce qui signifie qu’on doit pouvoir répondre tout simplement par « oui » ou « non ». Par exemple : « coût du projet < à 40 », « règles de sécurité 100% respectées », « travaux terminés avant septembre »…

3 – Attention aux fausses contraintes : si vous n’arrivez pas à trouver une formulation en mode binaire, c’est que ce n’en est pas une ! Il s’agit peut-être tout simplement d’un critère d’évaluation, qui vous aidera à arbitrer entre plusieurs idées. Par exemple : le chiffre d’affaires le plus élevé, le meilleur impact sur l’image de marque…

4 – Enfin, faites la somme des contraintes. L’ambition du projet est-elle raisonnablement atteignable ? Si oui, GO. Si non, NÉGO !

ETAPE 2 : RESPECTER LES CONTRAINTES

Dans le théâtre d’improvisation, les contraintes qu’on donne aux comédiens sont en réalité un service qu’on leur rend (au choix, prendre l’accent chinois, jouer une bande annonce de film, commencer les phrases par A, puis B, puis C…). Elles sont structurantes, elles offrent un cadre.

Et dans un processus d’innovation, c’est pareil ! S’adapter aux contraintes est une puissante source d’innovation.

Voici deux petits exemples concrets issus de mes expériences et voyages en Asie.

Au Bangladesh, près de Bogra : un social business de broderie

Le problème : Comment offrir un complément de revenu malin à des femmes ?

2 contraintes : elles n’ont pas de moyens pour investir dans du matériel ; elles ne peuvent pas quitter le foyer, où elles ont de nombreuses obligations tout au long de la journée.

L’innovation : dans un petit territoire constitué de 2 ou 3 villages, la quasi-totalité des femmes brodent pour offrir un complément de revenus à leur foyer. Chaque jour, en parallèle de leur travail domestique, elles peuvent réaliser 2 ou 3 broderies. Il s’agit des taqiyah, des couvre-chefs qui sont destinés à être vendus au marché et portés à la mosquée. Le matériel nécessaire (tout simplement du fil et des aiguilles), leur est fourni par un entrepreneur local. Une fois par semaine, il vient récupérer la production et les payer.

Au Cambodge, près de Siem Ream : un social business de pâtes de riz

Le problème : Comment offrir un complément de revenu malin aux familles en milieu rural ?

Contrainte : elles n’ont pas de moyens pour investir dans du matériel.

La solution : la plupart des familles disposent d’une parcelle de rizière. Pour gagner plus que le simple prix du riz, un entrepreneur local a permis à toutes les familles qui le souhaitaient de réaliser par elles-mêmes des pâtes de riz. Il a installé un petit moulin à balancier, et une cuve pour cuire et former la pâte. Deux heures de travail par jour suffisent pour valoriser de 40% la production de riz. En famille et dans la bonne humeur.

Ces deux cas d’innovation sous contraintes, parfaitement intégrés à la vie des communautés, sont en plus des social business au naturel !

ETAPE 3 : TRAVAILLER (DUR) POUR LEVER LES CONTRAINTES

• Libérer les autres de leurs contraintes

Aider ceux qu’on aime à s’affranchir de leurs contraintes, c’est déjà une très jolie mission !

Dans le domaine de la mobilité individuelle par exemple, des innovations comme l’auto-partage, la voiture hybride ou encore Uber nous libèrent des contraintes de temps (attente, parking) et d’usage (simplicité).

• Lever ses propres contraintes par l’innovation (et le hacking…)

Innover pour se libérer soi-même : nous voici un cran plus loin dans la perversion.

Un des mouvements de libération en cours dans le monde de l’entreprise, c’est l’open innovation. Elle consiste à transférer les efforts et la responsabilité de l’innovation vers des R&D externes. Elle permet donc de s’affranchir des contraintes internes (budget, délais, retour sur investissement). Elle favorise aussi l’innovation collaborative.

Mais arrêtons-nous une petite minute pour nous interroger :

–       Faut-il plutôt respecter les contraintes ou plutôt chercher à les lever ?

–       Faut-il demander l’autorisation à quelqu’un pour libérer l’entreprise d’une contrainte, ou bien y œuvrer en silence, parfois en prenant l’air de rien ?

–       La figure montante du « hacker d’entreprise » est séduisante et bien ambiguë ! Est-il d’abord un collaborateur ou d’abord un résistant ? Pourrait-il être les deux à la fois ?

Une personne m’a recruté un jour en me disant « J’attends de toi que tu sois un poil à gratter ». Quelle chance !

ETAPE 4 : FAIRE ENCORE MIEUX SANS CONTRAINTE

La performance sous contraintes est une prouesse qui muscle les individus et les organisations. Elle les rend plus robustes et résilients, surtout lorsqu’elle s’est installée dans le temps. C’est pourquoi la levée d’une contrainte permet un jaillissement d’innovation.

Les aveugles apprennent à « voir autrement » en sur-développant leurs autres sens (l’odorat, le toucher, l’ouïe). D’ailleurs, offrez à un myope ses premières lunettes de vue : il verra soudain tout plus clairement que vous !

C’est également ce phénomène qui incite les préparateurs physiques àamener leurs athlètes s’entraîner en altitude. Quand ils redescendent en plaine, tout devient plus facile.

Et bien dans le monde de l’entreprise, c’est pareil.

–       Dans une usine sous forte contrainte (produire 5 tonnes au mètre carré), il y a des savoir-faire de grande valeur. Investissez, laissez-les s’exprimer et vous verrez !

–       Dans toutes les entreprises, il y a ceux qui ont voix au chapitre et puis ceux qu’on écoute moins. Souvent, ils ne sont pas cadres et sont là depuis longtemps. Si vous allez à leur rencontre, ils pourraient bien vous étonner avec quelques bonnes idées.

Maintenant, faites la liste des contraintes autour de vous et demandez-vous à quel niveau de maturité elles sont, et ce que vous pouvez en faire de grand.