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Libres d’Obéir, le management du nazisme à nos jours de Johann Chapoutot

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Libres d’Obéir, le management du nazisme à nos jours de Johann Chapoutot

Dans cet essai incisif, Johann Chapoutot, célèbre historien du nazisme, se penche sur la pensée managériale du régime, et sur ses prolongements dans l’ordo-libéralisme allemand. Il cite le parcours biographique de Reinhard Höhn.

Cet universitaire du régime nazi, qui sera fait général à la fin de la guerre, fut un des principaux idéologues du régime. Après 1945, il fonde l’école de management de Bad Harzburg, qui formera plus de 700 000 cadres jusqu’en 2000. Johann Chapoutot montre que sa méthode de management a eu de profondes répercussions sur le management moderne.

Il commence d’abord par étudier la pensée de Höhn et de ses collègues nazis. Pour la plupart des allemands, l’État nazi n’était en effet pas un gigantesque camp de concentration à ciel ouvert. Loin des poncifs du fonctionnaire hurlant sur ses subordonnés, l’on voit que les nazis réfléchissaient à d’autres moyens d’assurer la production. Les leaders du parti avaient peur d’une révolution et d’un effondrement de la productivité.

En effet, la cadence de travail était infernale, et l’on utilisait souvent la comparaison à l’URSS pour justifier du sort enviable des ouvriers allemands. Pour cela ils ont investi massivement dans l’éclairage et la ventilation des usines mais aussi dans un large programme de divertissements et de bien-être ouvrier. On peut citer par exemple les paquebots de croisières ou les colonies de vacances, qui leur étaient destinés. Les nazis envisagent le loisir sous le prisme du travail, vu comme un moyen d’augmenter la productivité. Ils ne rechignaient pas non plus à doper ouvriers et soldats aux amphétamines.

Johann Chapoutot montre ensuite que les nazis sont parmi les premiers à penser un modèle de « nouvelle gestion publique » de l’État. Ils vont établir une gestion indifférenciée entre administration publique et privée. En effet ils désacralisent l’État, et le mettent en concurrence avec de multiples agences : les nazis sont des anti-étatistes convaincus ! Ainsi l’État est vu comme un outil, qui doit être efficace et dynamique. L’État n’est plus une fin, mais un moyen, qui évolue dans des dynamiques concurrentielles, comme une entreprise. Déjà on parle « d’élasticité » et de « performance ».

Höhn pense aussi le management de l’individu. On ne parle plus d’un État avec ses sujets, mais d’une « communauté du peuple », dont les individus ne sont plus que les membres joyeux d’un tout. Ainsi ils ne peuvent être que forcément libres, dans une communauté égalitaire. On supprime ainsi toute lutte dans la société, qui devient un paradis de participation volontaire. Cette idée est concomitante de la triade du racisme, de l’eugénisme et du darwinisme social. Ce cocktail va conduire à toutes les exactions, dans le but de purifier la « communauté du peuple », qui ne sera juste et sans violence que lorsqu’elle ne sera plus qu’un tout homogène. L’on écarte ainsi récalcitrants raciaux et politiques, et ce dès 1933.

L’effondrement de l’Allemagne en 1945 ne marque pas la fin de ces idées. Höhn et les « anciens » de la SS prodiguent leurs conseils à l’Allemagne de la croissance, les débarrassant de toute référence antisémite et raciste.

Passionné d’histoire militaire, Höhn en transpose certains principes de terrain dans l’entreprise.

La méthode de son école de Bad Harzburg est celle d’une « délégation de responsabilité ». Au lieu de définir la fin on doit calculer les moyens. Cela veut dire que la direction donne une directive et que les cadres inférieurs sont autonomes dans sa réalisation, tant que l’objectif est atteint. Cela leur donne donc une responsabilité totale, car un échec serait entièrement de leur fait. Ce système qui doit donner liberté et autonomie dans un cadre précis, peut vite s’avérer pervers, car on transfère la responsabilité sur l’individu. Le géant de la distribution Aldi a ainsi été dénoncé ces dernières années pour ses méthodes oppressives de management.

Si à partir de 1971 les révélations de son passé SS et l’évolution de la théorie du management ont discrédité la méthode de Bad Harzburg, la trouvant finalement terriblement autoritaire et bureaucratique, son héritage reste prégnant. Reinhard Höhn a non seulement formé plusieurs générations de cadres du privé, mais aussi ceux de la Bundeswehr. La hiérarchie a changé de signification, mais elle existe toujours, transformant les subordonnés en collaborateurs, censés être autonomes. Ceux-ci se fondent dans la communauté de l’entreprise, sous d’apparents rapports égalitaires qui éliminent toute lutte interne.

Cette méthode participe d’une société qui vante les mérites du productivisme individuel, où l’on doit se battre pour réussir L’ancien SS a transposé le darwinisme social du camp d’extermination à l’entreprise. Sa méthode fut finalement très hiérarchique et autoritaire, car le cadre est libre de réussir une mission qu’il n’a pas décidée. D’autres méthodes allaient la rendre caduque, comme celle du management par les objectifs.

Les nazis ont donc utilisé pour leur projet archaïque et sauvage tous les instruments de la modernité. Ils ont été l’émanation de leur monde contemporain, le symbole de la modernité et pas du passé.

Et finalement, aujourd’hui encore, à l’heure de la tyrannie du bonheur au travail, sommes-nous tous libre d’obéir ?

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